Comme chaque année, Israël a célébré Yom haShoah – le Jour du souvenir de la Shoah qu’on appelle parfois improprement « Holocauste ». Pendant 2mn, lors du retentissement de la sirène, le pays s’arrête, les gens sortent de leur voiture, se figent dans la rue, en mémoire de toutes les victimes de la Shoah. Le mot Shoah, c’est la catastrophe, en hébreu, disant la destruction systématique des Juifs d’Europe par les Nazis – 6 millions de Juifs assassinés sans oublier les centaines de milliers « tués par balles » [1] notamment dans des immenses charniers que l’on découvre encore aujourd’hui.
Cette année, nous avons écouté à l’occasion de « Zikaron baSalon » [2], le témoignage d’une enfant cachée d’une famille de Nice sauvée dans un couvent de Mende. Gaby Hochman avait 2 ans quand sa mère a été raflée ; elle, son frère et sa sœur, ont été cachés dans différents lieux. On relève que la France, malgré le rôle détestable du gouvernement de Vichy et de la Police française, figure parmi les pays qui ont sauvé le plus de Juifs. Des initiatives individuelles, des héros anonymes, mais qu’Israël a su honorer avec la médaille des Justes. Des protestants (on se souvient du pasteur André Trocmé au Chambon s/Lignon qui permit le sauvetage de 3000 enfants juifs), des catholiques, des prélats ou des religieuses, ou de simples laïques qui avaient un cœur et du courage, pour cacher des enfants dont les parents avaient été raflés. Des villages entiers, comme Moissac, ont participé à ces sauvetages.
Gaby a réussi à reconstituer le puzzle de son sauvetage. Elle avait en mémoire 3 mots – couvent, Mende et Tarsisius (le nom d’une soeur). Elle finit par retrouver le lieu et les soeurs, et le cagibi secret où les enfants devaient rester cachés quand les Nazis recherchaient des Juifs. Gaby invita deux des religieuses à Jérusalem et une véritable amitié se noua avec sœur Emilienne qui était chargée de la cacher. Emilienne est encore vivante (elle a fêté ses 100 ans) et elle a sur le mur de sa chambre toute la famille de Gaby. « C’est ma famille de Jérusalem », dit-elle avec émotion … les enfants, petits et arrières petits-enfants de Gaby, des jeunes engagés dans Tsahal, une famille israélienne pleine de vie…
Qui sauve une seule vie, sauve le monde entier, dit le Talmud.
Aloumim, Yad Vashem… pour se souvenir
Aloumim [3] est une belle association juive qui s’occupe de faire vivre la mémoire de tous ces enfants qui ont été sauvés en France, des enfants qui ont appris après guerre, la quasi-destruction de toute leur famille. Comment vivre après cela, comme se reconstruire ?… Comme l’a dit un responsable de Aloumim, « c’est en 1945 que la guerre a commencé pour nous », hantés par l’absence de souvenirs, un trou noir. Créée en 1993, l’association Aloumim regroupe en Israël les enfants cachés en France pendant la Shoah. La grande majorité d’entre eux ont perdu leurs parents, assassinés dans les camps de la mort nazis.
L’histoire de Berthe Badehi (article de 2018) – « Tous ceux qui ont visité le Yad Vashem, le Lieu de la Mémoire de la Shoah à Jérusalem, ont pu rencontrer Berthe Badehi, un pilier de l’institution. Cela fait plus de 20 ans qu’elle distribue plans et sourires aux visiteurs du monde entier. Visage avenant, regard vif, coquette mèche argentée qui dissimule judicieusement ses 88 printemps, elle leur raconte aussi son histoire, celle d’une Juive française, enfant cachée pendant la Shoah. Car avant toute chose, elle aime témoigner, encore et toujours, avec la vigueur et la passion inébranlables de celle qui ne veut rien oublier. Née Elzon, de parents originaires de Pologne, Berthe voit le jour à Lyon en 1932. Son père Itzhak était arrivé en France à 14 ans, en 1924 ». Comme beaucoup, Berthe fut cachée comme enfant, chez Madame Massonat, une simple paysanne. Marie Massonnat s’est vue décerner la médaille de Juste parmi les Nations le 13 mars 1997, à titre posthume.
“J’avais peur que les Allemands ne voient sur mon visage que j’étais juive, mais je ne pouvais en parler à personne, puisque personne ne savait que j’étais juive. J’avais peur en permanence. Cela faisait très longtemps que nous n’étions plus des enfants. Nous n’avons pas eu d’enfance, nous avons tout de suite été confrontés à des situations auxquelles il fallait faire face”.
A Jérusalem, nous côtoyons ces ami(e)s qui ne peuvent oublier leur passé, hantés par l’absence de souvenirs de la tendresse d’une mère, de son visage même, de leur famille raflée en France et parquée dans un des nombreux camps « de transit » français, puis envoyée comme des bestiaux à Auschwitz ou autres camps de la mort… où ils sont morts de faim, d’épuisement, ou bien gazés dès l’arrivée, brûlés dans les fours et réduits en cendre.
Combien il est important de lire ou écouter ces témoignages de vies meurtries, de ceux et celles qui ont échappé à la mort et qui portent en eux la douleur de l’absence ! Le peuple juif est véritablement le peuple de la Vie et de la résilience. La revue « Mémoire vive » de Aloumim, a écrit cette parole en exergue, comme un slogan : « N’oublie pas les événements dont tes yeux furent témoins » (Deutéronome 4,9). Israël est le peuple du « Souviens-toi, dit l’Eternel ! », et finalement la conscience de l’humanité.
Nous concernant, Sophie et moi-même étant en Israël depuis 18 ans au côté de tous ces témoins vivants, c’est un autre verset qui est sur notre cœur : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, parlez avec tendresse au cœur de Jérusalem… » (Esaïe 40,1). Le verset corolaire est pour nous la mise en action de l’amour de Dieu pour Son peuple : « Pour l’amour de Sion, je ne me tairai point » (Esaïe 62,1).
Amis chrétiens, n’est-ce pas là un saint commandement ? C’est Dieu qui parle au travers du prophète. Aimer Israël n’est pas une option, aimer Israël, c’est aimer Dieu, c’est aimer notre prochain (Mat 25:40).
Roglit, une mémoire pour les 80 000 Juifs de France déportés
Pour finir, en ce Jour de Yom haShoah, nous avons été à Roglit. Le mémorial de Roglit liste les noms, les dates et lieux de déportation de près de 80 000 Juifs déportés depuis la France. Ce bandeau de pierre incurvé a été installé en 1981 sur cette colline verdoyante, à l’orée de la forêt de Roglit, à 30 km à l’ouest de Jérusalem, à l’initiative de Serge et Beate Klarsfeld, présidents de l’association des Fils et Filles des déportés juifs de France. Sur les quelques 80 000 déportés juifs de France, symbolisés par 80 000 arbres plantés au mémorial de Roglit, 43 441 ont été gazés dès leur arrivée.
Ensemble, à 10h précises, nous nous sommes levés alors que la sirène retentissait … 2mn, en mémoire de toutes ces personnes disparues. Sont là habituellement à cet événement les représentants consulaires, de l’ambassade de France en Israël, des personnalités œuvrant pour la continuité de la mémoire, et toujours des témoignages … Tamar Loinger raconta l’histoire de sa maman, Fanny Loinger, une résistante juive française ; infirmière, en août 1942, Fanny parvint à faire sortir des enfants du camp des Milles (près d’Aix-en-Provence), et organisa le sauvetage de 500 enfants vers la Suisse.
Ensemble à Roglit, nous avons chanté la Marseillaise et (surtout) l’Hatiqvah, le très bel hymne israélien.
Aujourd’hui, il reste en Israël un peu moins de 150 000 rescapés de la Shoah, les témoins survivants de l’horreur de la Shoah. Il y a maintenant le témoignage de ces « Enfants cachés » qui pour certains, tardivement – « on ne parlait pas de ces choses dans la famille » – ont libéré la parole et reconstruit le récit de leur sauvetage, honorant celles et ceux qui furent des acteurs providentiels. Nous lisons dans ces témoignages le meilleur de l’homme quand trop souvent les actualités nous révèlent le pire.
de Jérusalem, Gérald et Sophie Fruhinsholz
[1] Entre 1941 et 1944, près d’un million et demi de Juifs d’Ukraine ont été assassinés après l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne nazie. L’immense majorité de ces Juifs sont morts sous les balles des Einsatzgruppen (unités de tueries mobiles à l’Est), d’unités de la Waffen SS, de la police allemande et de collaborateurs est-européens.
[2] Zikaron BaSalon est une tradition lancée en 2011 – une nouvelle façon de commémorer la Shoah. Cela passe le flambeau des cérémonies officielles et des assemblées de masse à des rencontres plus intimes, significatives et inspirantes, dans des milliers de salons privés et lieux publics.
[3] D’après les statuts de l’Association, les Enfants cachés sont des personnes nées entre 1924 et juillet 1944. Le mot « Aloumim » en hébreu signifie « Cachés » mais également « Jeunes » en signe de renaissance et d’avenir. Cette Association est née du besoin de ne pas oublier le passé et de le faire perdurer.
« … pour consoler tous les affligés ; pour accorder aux affligés de Sion, pour leur donner un diadème au lieu de la cendre, une huile de joie au lieu du deuil, un vêtement de louange au lieu d’un esprit abattu, afin qu’on les appelle des térébinthes de la justice, une plantation de l’Eternel, pour servir à Sa gloire » – Esaïe 61,3